Pour une théorie panchronique

des vers césurés

dans la métrique française

 

 

 

Abstract

 

Whatever is the conception we have of the vers césurés (combinatory theories or fissional ones), we have to face the following problems: are there any constraints on the joined segments and on their jonction? Which factors are determining those constraints? We try to bring some elements to anwer this question, through a panchronic theory bringing up the french and occitan data we get from the medieval poetry (lyric and non lyric as well) to the classic one.

 

 

On peut se demander quelle peut être la pertinence d'une perspective panchronique en matière de métrique: ne savons-nous pas que la métrique classique consacre une rupture d'avec ce qui l'a précédée? Mais il nous paraît nécessaire d'aller au-delà de ce constat trivial. En effet, le concept d'évolution n'implique-t-il pas bien autre chose qu'une simple continuité historique? Il nous semble même que toute évolution ait un caractère profondément organique, et que la rupture apparente que l'on peut noter entre des états éloignés n'est qu'une représentation particulière utile à notre besoin de structuration du donné qui ne doit pas cacher la permanence liée à l'«essence» des phénomènes considérés, et l'on peut songer aussi bien au domaine de la biologie qu'à celui de la psychologie ou de la sociologie pour s'en convaincre. La grammaire historique aurait-elle pu donner les résultats que l'on sait en ne disposant souvent que de maigres témoignages d'états fort éloignés les uns des autres si cette «essence» n'avait quelque réalité?

En ce qui concerne la métrique française, on peut déjà constater que l'accroissement de la longueur des groupes accentuels dû à l'évolution de la langue ne s'est pas simplement accompagné d'un accroissement de la longueur moyenne des vers: il n'a en rien affecté le seuil numérique à partir duquel les structures métriques se scindent. Par ailleurs, les innovations métriques[1] de l'époque classique (et pré-classique) semblent se limiter à de simples restrictions sur l'existant: ainsi convient-il sans doute d'interpréter l'élimination de la «césure épique» au seul bénéfice de l'élision. Derrière les ruptures maintes fois mises en valeur, nous percevons une profonde continuité qui nous semble justifier notre démarche.

 

1. Typologie des vers césurés

 

La difficulté principale à laquelle se heurte la métrique dans les langues romanes est l'intrication des schémas prosodiques et des manifesta­tions superficielles de la structure métrique, les contraintes métriques con­sistant en des restrictions systématiques des potentialités rythmiques du langage avec le contrôle prosodique de positions métriquement déterminées, à la césure et en fin de vers. Cette intrication a amené la confusion des dif­férents niveaux d'intégration et la synonymie plus ou moins prononcée qui tend à fusionner en partie, voire totalement, les notions de «rythme» et de «mètre» d'une part, de «césure» et de «coupe prosodique» d'autre part. De cette confusion résulte un certain pragmatisme dans l'analyse métrique des pièces versifiées. Verluyten (1982a:260-302; cf. 1981, 1982b et 1989:38-51) et Cornulier (1982:77-91) ont utilement éclairci ces points, mais nous préciserons ici nos positions en abordant le problème sous un autre angle, rejoignant pour l'essentiel leurs conclusions.

Précisions: nous réserverons le terme de «mètre» au verse design de Jakobson (le modèle), celui de «vers», au verse instance (son actualisation[2]).

 

1.1. Césure et coupe prosodique

Une coupe prosodique se définit à la fois par le terme du segment prosodique précédent et le début du suivant. Elle correspond à une frontière de mot importante, faisant éventuellement obstacle à la liaison, notée ## (ou #) en phonologie générative: elle intervient donc nécessairement après la syllabe post-tonique éventuelle dans la mesure où celle-ci est prononcée. Dans la métrique classique, la césure impose une coupe de moindre force, mais plus forte que la simple frontière # (ou +) du fait qu'un accent doit la précéder[3]. Définir la nature précise de ce lien en spécifiant quelles doivent être ses manifestations en surface est une vaine gageure, ce lien pouvant être plus ou moins lâche en fonction de la force qu'exerce la contrainte dans le processus de versification: il est trompeur de s'attacher à définir un seuil minima comme le fait Verluyten dans ses travaux[4], tel qu'une simple «proéminence accentuelle» pour  tout un courant poétique du XIXe siècle, qui devrait faire, en toute logique, de vers comme Je suis le doux par ex/cellence, mais tenez la base même des pièces ainsi définies alors qu'ils sont nettement minoritaires. L'avantage d'une définition du mètre en termes de force est de lier proportionnellement à une dimution de cette force l'apparition de vers allomorphes à travers lesquels des résistances peuvent laisser subsister certaines régularités telles que celles que Cornulier (1982) et Verluyten (1982a) ont révélées dans le cadre de l'alexandrin symboliste. Un autre avantage me semble-t-il, est de rendre vains — mais ne le sont-ils pas déjà? — les efforts que l'on se sent traditionnellement le devoir de consacrer dans des décisions de juge d'instruction ou des estimations de commissaires-priseurs sur la «métricité» ou, plus subtilement, le «degré de métricité» de vers particuliers qui présentent l'inconvenance de ne pas se soumettre au canon de l'analyste. Risquons une image de petit physicien: plaçons un aimant sur une feuille où l'on a préalablement répandu de la limaille de fer; une figure se dessine où les grains se concentrent vers les pôles magnétiques pour s'éparpiller en s'en éloignant. Faut-il répartir les grains de métal en plusieurs catégories selon leur répartition, ou convient-il d'établir une loi selon laquelle l'aimantation est inversement proportionnelle à la distance?

Les particularités accentuelles du français amènent comme terme du premier segment prosodique comme du second une syllabe accentuée ou une syllabe post-tonique — ou plus exactement, dans ce deuxième cas, une syllabe accentuée suvie d'une syllabe post-tonique. Les règles de la versification classique donnent effectivement comme terme aux segments métriques une syllabe accentuée suvie ou non d'une syllabe post-tonique (avec des règles d'élision strictes à la charnière des segments constitutifs des vers césurés). S'occupant simplement de prosodie de la langue, Plénat (1984:173) a suggéré la notion d'«hypersyllabe» pour rendre compte du type de /terminaison accentuée + post-tonique/, notion qui permet de rendre compte élégamment des problèmes posés par l'imparité structurelle des oxytons et des paroxytons du français, l'atone post-tonique n'ayant pas du tout le même comportement prosodique que les autres syllabes dites inaccentuées du fait de sa dépendance directe à l'égard de la tonique précédente, ce qui se traduit notamment par sa capacité à restructuration syllabique, l'attaque de la post-tonique devenant coda de la tonique avec l'apocope du /Q/ atone: [diWQ]  > [diW], description traditionnelle qui, soit dit en passant, n'est guère satisfaisante. En effet, l'analyse syllabique d'un vers tel que du nadir à l'oreille et du nadar au pif donnant au niveau de l'articulation des segments [$je], il serait nécessaire d'admettre qu'un occitan prononcerait [We$je]. On se trouve par conséquent confronté à deux solutions également inadmissibles du point de vue descriptif, la première dédoublant la (semi-)consonne en cause: [W´j$je], la seconde renonçant à lui attribuer une quelconque appartenance syllabique. On pourrait par contre lui reconnaître une double appartenance qu'un artifice quelconque de notation pourrait indiquer.

Un troisième problème mérite attention, opposant métrique et prosodie. En effet, en prosodie, aucun principe numérique ne semble intervenir, et le début d'un segment prosodique débute nécessairement avec l'initiale phonétique d'un mot, avec éventuellement la dernière consonne du segment précédent dans des conditions particulières. Il paraît difficile sinon artificiel de vouloir lui rattacher une post-tonique éventuelle qui le précéderait: la segmentation relève de la performance, reflète et transmet une certaine organisation du discours, et, si l'on incite quelqu'un à répéter son dernier groupe prosodique sous une formulation évidemment adéquate, celui-ci n'aura jamais l'idée de remonter plus loin que l'initiale absolue du groupe. La délimitation des segments métriques obéit par contre à d'autres lois car il s'agit de constructions «épi-linguistiques», sous-jacentes, indissolublement liées à la numération, et le début d'un segment commence là où se termine le précédent. Ainsi, la segmentation prosodique de l'énoncé suivant tendra à se faire au niveau des / interposées[5]:

la terre / terrassant / démente / se démène / et se plisse / comme cul / de sèche momie / étalant / ses varices / éclatées / Jeunesse

Mais dès lors que nous savons qu'il s'agit de vers, d'autres segmentations se dessinent (/ figure une frontière inter-hémistiches, // une frontière interstichique):

la terre  terrassant  / démente se démène // et se plisse comme / cul de sèche momie // étalant ses vari / ces éclatées Jeunesse                                                                               (Queneau)   

Nous n'ignorons pas ce faisant que ce découpage en choquera plus d'un, voulant à tout prix confondre prosodie et métrique faute d'avoir identifié la fonction distincte de l'une et de l'autre, d'où les positions incertaines et fluctuantes de certains à l'égard du placement des coupes[6].

 

La notion de césure se définit au niveau de la composante métrique du vers qu'il convient de postuler en termes générativistes aux côtés des composantes syntaxique, sémantique et phonologique des énoncés. Cette composante est déterminée principalement par ce que nous appellerons faute de mieux la contrainte numéro-syllabique qui se manifeste à travers un décompte syllabique et une expansion contrôlée des syllabes selon des règles variables en fonction des périodes (la non élision est fréquente au moyen âge) et des langues (nous songeons à l'«anisosyllabisme» anglo-normand au moyen âge)[7]. Un problème qui se pose par conséquent dans l'émergence de coupes césurales (i. e. déterminées par la contrainte métrique) au niveau de la structure superficielle du vers, est celui du traitement qui sera fait au déploiement de l'hypersyllabe éventuelle selon les points d'incidence où la contrainte métrique s'exerce sur la structure prosodique du vers. Avant d'aller plus loin, remarquons que certains auteurs tels que Burger (1957) identifient la césure à la coupe césurale qui appartient à la structure phonologique suprasegmentale du vers. On se trouve ainsi face à une césure «mobile», concept aberrant puisque, là où l'on s'entend à reconnaître une légitimité à un alexandrin «nouille» (Cornulier 1982:115n2: la 7e position est occupée par une syllabe post-tonique), que ces auteurs couperaient après la 7e, nul n'accepterait un vers coupé 7 + 5, c'est-à-dire accentué sur la 7e (avec 6e protonique). C'est ignorer que la composante métrique traite uniquement d'unités métriques, et que les problèmes particuliers posés par l'accentuation du français relèvent au contraire de la composante phonologique.

 

1.2. Types d'articulation métrique

On est ainsi amené à distinguer quatre types d'articulation:

(a) la post-tonique éventuelle est traitée comme non numéraire (extra-métrique). C'est le cas de ce qu'on rencontre avec la «césure épique» dans l'alexandrin médiéval[8].

(b) la post-tonique éventuelle est systématiquement neutralisée par l'élision; une règle métrique interdit donc en surface la présence d'une post-tonique non-élidée — numéraire comme dans (c) ou non comme dans (a). C'est le type même de l'alexandrin classique.

Cornulier désigne ces deux types au moyen de l'expression de «césure/coupe synthétique», et oppose actuellement (1991) «composition lâche» pour le type (a), et «composition dense» pour le type (b).

(c) la post-tonique est traitée comme numéraire. Dans ce cas la configuration de la coupe césurale peut se définir par rapport à l'un ou l'autre des éléments caractérisant toute coupe prosodique:

(c1) elle s'appuie sur la tonique du premier segment qui remplit ainsi la position métrique finale du premier segment, la post-tonique éventuelle pouvant remplir la position initiale du second segment; la frontière prosodique est ainsi décalée d'un rang vers l'avant. Les romanistes parlent notamment dans ce cas de «césure enjambante»[9] ou de «césure mobile»[10], termes dont les implications sont complexes (ainsi, le premier terme n'indique pas la discrimination d'un critère F6 et d'un critère M6 dans la postérité de l'alexandrin; le second terme n'indique en rien, par contre, que la mobilité de la «césure» est strictement conditionnée — cf. supra — et maints auteurs ont précisément une conception non conditionnelle de cette notion[11]). Ce type nous semble correspondre à la notion de «coupe analytique» chez Cornulier, dont l'émergence au sein de l'alexandrin est particulière.

(c2) elle s'appuie au contraire sur une frontière prosodique directement déterminée par la césure; échappant à la contrainte métrique, l'accent final du premier segment pouvant se trouver ainsi décalé d'un rang vers l'arrière, la post-tonique remplissant la position métrique finale du premier segment. C'est le cas de ce que l'on appelle la «césure lyrique» pour le décasyllabe commun.

Dans les deux cas, l'un des segments-énoncés du vers paraît déficient, le décompte syllabique étant, du point de vue prosodique, borné par un début de mot à gauche dans le premier cas, et un accent à droite dans le second. On revient plus bas sur ce problème.

 

1.3. Modes de réalisation et formalisation de ces types

D'un point de vue métrique étroit (numérisme, articulation interne dans le cas des vers césurés), le type (a) offre des segments indépendants, de même statut, juxtaposés, leur spécificité résultant uniquement — jusqu'à plus ample informé — de leur position (antérieure ou postérieure) dans le mètre, et se traduisant sans doute par des particularismes en surface au niveau de leur structure suprasegmentale; nous reviendrons ailleurs sur ce problème. On relève donc deux uniques points d'incidence sur le vers: d'une part au niveau de l'accent final du premier segment, d'autre part, au niveau de la frontière de mot subséquente. Le type peut donc être représenté par la structure suivante, avec A = position syllabique contraignant un accent en surface, / = césure[12], Y = position syllabique contraignant une frontière de mot initiale[13], les parenthèses indiquant la portée de la contrainte numéro-syllabique; les points d'incidence de la césure sur le vers sont soulignés:

(a)  (Y … A) / (Y … A)

Ce type qui se caractérise par l'identité de traitement des segments connaît trois réalisations prosodiques seulement. Pour faciliter l'exposition, nous donnerons nos exemples à partir d'un alexandrin de Paul Valéry, exemples par conséquent factices qui se référeront toujours implicitement à une base métrique /6 + 6/; seules figureront les positions métriques encadrant la césure et une position médiane extra-métrique éventuelle); symboles: soit X une syllabe quelconque à ses déterminations contextuelles près[14], F une syllabe post-tonique, les autres syllabes étant représentées par leur(s) trait(s) pertinent(s) du point de vue de la structure phonologique, $ une frontière syllabique, # une frontière de mot, _ l'élision (dans F_, il ne reste plus de F que l'attaque), <…> l'indication d'une position extra-métrique:

(1) $ [+ accent] $ # $ X $                                                      notation: x + y[15]

ex.: Aux nénuphars de l'eau el-le donne un orteil

(2) $ [+ accent] $ F_ # [+ débVoc] $                                     notation: x']y

ex.: Aux nénuphars de l'on-de el-le donne un orteil

(3) $ [+ accent] $ <F> $ # $ [- débVoc] $                             notation: x(')y

ex.: Aux nénuphars de l'on-de don-nera un orteil

Note: les règles phonologiques de l'ancien français rendent (3) possible devant une syllabe [+ débVoc] (hiatus) et l'on pourrait être tenté, dans ce cas, en toute rigueur de remplacer (2) et (3) par (6): $ [+ accent] $ <F> $ # $ X $ qui est le véritable delivery-design de ce mètre, (2) et (3) n'en étant que des delivery-instances[16]. D'autre part, plutôt qu'une stricte élision dans (2), il pouvait y avoir synalèphe.

Le type (b) met clairement en valeur l'hétéronomie des segments par la divergence de traitement des désinences métriques, libre en fin de vers, contrôlée par l'obligation de la liaison éventuelle en fin d'unité non finale: c'est donc le seul type métrique pur à imposer une restriction sur les formes phonologiques en surface de manière à éviter systématiquement les modes (3), (4) et (5); le principe numérosyllabique est ainsi étendu au mètre en son entier et non plus à chacun des segments considérés isolément tout en préservant les deux points d'incidence du type (a) qui le précède historiquement. Nous représenterons ce type ainsi

(b)  (Y … A / Y … A)

Ce type connaît deux réalisations prosodiques seulement:

(1) $ [+ accent] $ # $ X $                                                       notation: x + y

(2) $ [+ accent] $ F_ #[+ débVoc] $                                      notation: x']y

Il est intéressant de noter que c'est ici le canon du vers césuré classique, et que ce canon est inexistant au moyen âge (à moins de vouloir considérer comme structurellement significatif l'emploi de ces deux seuls modes dans certaines pièces à /4 + 6/).

Le type (c) montre un empiétement d'un segment l'un sur l'autre, pour lequel les hispanistes médiévistes parlent de «compensación». On y relève un seul point d'incidence au niveau de la césure (cf. § 1.2). Il y a quatre réalisations prosodiques possibles qui se distribuent ainsi:

1°) type (c1);  nous représenterons ce type ainsi (X = position non directement[17] contrainte au niveau métrique):

(c1)  (Y … A / X … A)

Modes de réalisation:

(1) $ [+ accent] $ # $ X $                                                       notation: x + y

(2) $ [+ accent] $ F_# [+ débVoc] $                                      notation: x']y

(4) $ [+ accent] $ F $ #                                                          notation: x'[(y — 1)

ex.: Aux nénuphars de l'on-dè donne cinq orteils

2°) type (c2);  nous représenterons ce type ainsi:

(c2)  (Y … X / Y … A)

Modes de réalisation:

(1) $ [+ accent] $ # $ X $                                                       notation: x + y

(2) $ [+ accent] $ F_# [+ débVoc] $                                      notation: x']y

(5) $ F $ # $ X $                                                                    notation: (x — 1)'[y

ex.: Aux iris de l'on-dè don-nera un orteil

(On reconnaît, dans ce dernier cas, la soi-disant «césure lyrique».)

Ce qui différencie ces deux derniers types n'est pas simplement gouverné par leur apparente symétrie: alors que dans (c1) le premier segment empiète sur le second (cf. la notion de «césure enjambante»), dans (c2), le premier segment conserve son autonomie syntaxique (sensu lato).

Des investigations plus poussées devraient permettre de voir dans quelle mesure (2) n'est pas exclu de (c2) dans certains corpus, et si cette exclusion n'est pas significative au point d'inciter à définir un autre type d'articulation dans lequel les segments ne sont pas libres — non (a) —, mais ne fusionnent pas non plus comme dans (b) ou (c).

On constate que les différents types d'articulation ont en commun les modes de réalisations (1) et (2), c'est-à-dire ce que l'on peut appeler la coupe «triviale» (masculine), parce que la plus commune et sans surprises, et la coupe avec élison. Alors que le type (b) ne connaît que ces deux modes, les trois autres types en connaissent un troisième qui permet de les caractériser: la coupe (3) avec post-tonique sur-numéraire pour le type (a), la coupe (4) avec «compensation» pour le type (c1), et enfin la coupe (5) avec ce que nous avons appelé «décompensation» pour le type (c2) (cf. Billy 1990: § 1.1.2). Le terme de «compensation» nous paraît cependant impropre car il suppose qu'un des segments est déficient d'une syllabe conformément à une interprétation métrique erronée des modes (4) et (5), du genre suivant:

(4) (… $ [+ accent] $) F $ # (…)      au lieu de (… $ [+ accent] $ F $ # …)

(5) (… $) F $ # ($ X $ …)               au lieu de (… $ F $ # $ X $ …).

Si en effet l'on exclue les post-toniques «circum-césurales» de la numération, on se trouve bien confronté à un manque… qu'elles viennent justement combler. Cette analyse tend à montrer que ce qui est réellement déterminant dans la contrainte métrique au niveau de l'articulation des segments, ce n'est pas l'accent du premier segment, mais cette cassure métrique que l'on a coutume de croire nommer en parlant de «césure», alors que l'on a bien souvent là en vue la cassure prosodique (la coupe) qu'elle provoque dans la structure phonologique des vers, et qui peut se trouver décalée par rapport à elle: alors que la césure intervient uniformément au niveau de la première frontière syllabique entre les segments métriques, la coupe peut se déplacer vers la droite dans des contextes limités et strictement définis: après l'attaque de la syllabe suivante (cas d'élision)[18], ou à la fin de cette même syllabe s'il s'agit d'une post-tonique.

En principe, ces différents types d'articulation doivent permettre de définir des types métriques distincts que seule présente la poésie — lyrique et non-lyrique — du moyen âge, beaucoup plus riche que les développements ultérieurs de la poésie où le classicisme viendra consacrer l'abandon de nombreux mètres et la normalisation du traitement des césures. En effet, en im­posant, aux côtés de la coupe triviale (1), la liaison pour les terminaisons féminines, leurs héritiers effaceront tous les indices susceptibles de nous ren­seigner sur la stabilité intrinsèque des segments métriques et le degré de cohésion des segments combinés, ainsi que sur les problèmes y relatifs (cf. Billy 1990).

On remarquera au passage que les frontières entre types ne sont pas totalement hermétiques: ainsi, certaines pièces à décasyllabes /4 + 6/ peuvent connaître concurremment les coupes (3) et (5), c'est-à-dire ce que l'on appelle traditionnellement la «césure épique» et la «césure lyrique». Un autre cas notable concerne le type (c2) où le mode (4) peut sporadiquement apparaître. Sa forte limitation fréquentielle nous retient en effet de voir à travers ce cas un type (c) à l'état pur qui réunirait les modes (1), (2), (4) et (5).

 

2. Les vers césurés au moyen âge

La métrique médiévale connaît deux autres types de vers césurés. Elle connaît également un second type de numération métrique aux côtés de l'isosyllabisme auquel nous sommes habitués. Nous examinerons tout d'abord ces deux aspects avant d'en venir à l'étude du système des mètres césurés du moyen âge.

2.1. Types intégrant la structure accentuelle des mots terminaux

Dans les types d'articulation précédents, le traitement de l'accent laisse toute liberté quant à l'emploi de mots hétérotones (c'est-à-dire de mots dont la structure accentuelle est différente: oxytons et paroxytons). On peut toutefois relever dans le type (b) une contrainte sur l'emploi de paroxytons puisque ceux-ci doivent d'une part se terminer sur un /Q/ en finale absolue, d'autre part le second segment devant commencer directement par une voyelle. Le moyen âge connaît cependant des mètres particuliers dans lesquels intervient une contrainte sur la fin du segment métrique initial[19], que Billy 1990 décrit comme mètres à «contrainte gonique» (locale lorsqu'un seul segment y est soumis); on est ainsi amené à définir deux types supplémentaires caractérisés chacun par un unique mode de réalisation:

Nous donnerons au type (d) la représentation suivante (M = position contraignant la syllabe tonique d'un oxyton):


(d)  (Y … M / Y … A)

Mode unique de réalisation:

(1) $ [+ accent] $ # $ X $

Dans ce système, la description peut se contenter de retenir l'obligation d'avoir une frontière de mot à la césure, d'où l'exclusion de (2).

Il n'est pas toujours aisé de savoir si le recours systématique à la coupe triviale renvoie réellement à ce type ou à un autre: ainsi, maintes pièces à décasyllabes /4 + 6/ présentent au moyen âge cette particularité, mais on est plus tenté de voir là une démarche stylistique consistant à éviter les incidences prosodiques afférentes aux coupes «féminines», plutôt que la stricte expression d'une contrainte métrique qui distinguerait un /4M + 6/ du /4 + 6/ traditionnel.

Nous donnerons au type (e) la représentation suivante (H = position contraignant une hypersyllabe)[20]:

(e)  (Y … H / Y … A)

Mode unique de réalisation:

(6) $ [+ accent] $ <F> $ # $ X $

La spécificité de ce dernier type repose sur l'interdiction des modes de réalisation (1) et (2).

D'un point de vue purement théorique, on peut s'interroger sur le statut métrique de F et considérer cette syllabe comme numéraire: on pourrait alors interpréter ce mode comme (4) ou (5). Ainsi, un mètre /4F + 6/ pourrait être interprété comme un /4 + 7/ où la 1e position du second segment requérerait systématiquement en surface une syllabe post-tonique, soit le mode (4); ou encore comme un /5 + 6/ où la 5e position du premier segment présenterait cette même contrainte sur la structure phonologique du vers, soit le mode (5) en surface. On serait ainsi amené à voir dans ces types une réduction du type (c1) ou (c2) si les combinaisons présentées ne conduisaient pas à préférer nettement le recours aux types propres (d) et (e). Ainsi, dans un de ses lais, On parle de richeces et de grant signorie[21], Machaut utilise de telles structures de manière à obtenir pour chaque strophe un mètre d'un nombre déterminé de syllabes, allant en décroissant de 14 à 3 et 2, en incluant dans le décompte syllabique les syllabes post-toniques de fin de segment, soit successivement (notre notation est interprétative[22]):

I: /6F + 6F/               V: /4 + 6M/               IX: /5F/                     XIII: /6F + 6F/

II: /6M + 6F/             VI: /8F/                     X: /5M/

III: /6M + 6M/          VII: /8M/                   XI: /4M/

IV: /4 + 6F/               VIII: /7M/                 XII: /3M/ et /2M/[23]

Les bases traditionnelles /6 + 6/ et /4 + 6/ y sont nettement reconnaissables, permettant de dériver les cinq (respectivement 3 et 2) formations césurées de ces 13 mètres, alors que d'autres modèles indépendants eussent pu théoriquement être construits. Le cas des strophes III et IV qui font place aux modes (2) et (5) (élision et «césure lyrique») référant sans conteste au classique /4 + 6/ montre que le problème typologique n'est pas simple[24]. Le cas des deux premières strophes renvoie naturellement au /6 + 6/ dont le /6F + 6F/ a généralisé le mode (3) de réalisation.

La raison d'être de ces structures n'est pas évidente, hormis dans un cas comme le précédent, bien que des raisons d'ordre mélodique puissent être invoquées. S'il n'y a pas, dans le chant, de différence significative entre les modes (1) et (2) (mode trivial et mode avec élision) puisque dans les deux cas le premier segment prosodique finit sur une syllabe accentuée et le second commence avec un nouveau mot, l'attaque de la post-tonique éventuelle devenant la coda (ou un élément de la coda) de la syllabe précédente, le type (d) n'a aucune raison d'être puisque (b) assurerait les mêmes fonctions tout en laissant libre la fin du segment initial. On peut donc penser, indépendamment du problème de l'analyse syllabique qui relève en partie de considérations théoriques (pour ne pas dire spéculatives), que le mode de réalisation de (2) faisait au moyen âge plutôt appel à la synalèphe qu'à l'élision proprement dite, mais sans entrer dans des considérations relatives au traitement réellement accordé à la post-tonique dans la réalisation de ce mode articulatoire, il convient de voir dans l'empiètement d'un segment sur l'autre une réalité discordante suffisant à justifier son interdiction.

 

2.2. Les deux systèmes de numération dans la métrique médiévale

Le moyen-âge connaît deux manières de «compter le vers», autrement dit deux systèmes de contrainte numérico-syllabique distincts (cf. Billy 1989:52).

Le premier est le plus commun. Il est connu sous le nom simple d'«isosyllabisme» (nous préciserons «rythmique» par opposition au second), et consiste à compter tous les noyaux syllabiques du vers, à l'exclusion de l'ultime post-tonique éventuelle du vers (avec la possibilité d'élider selon les règles prosodiques ordinaires les post-toniques). Ce système traite de manière égale par exemple des octocyllabes féminins et des octosyllabes masculins, et c'est celui qui règle la métrique classique.

Le second est connu, depuis Mölk et Wolfzettel (1972:28-9, § 46), sous le nom d'«isosyllabisme arythmique», et consiste à compter tous les noyaux syllabiques, y compris l'ultime post-tonique éventuelle du vers (avec la possibilité d'élider selon les règles prosodiques ordinaires les post-toniques). Ce système traite de manière égale par exemple ce que l'on a coutume d'appeler des octosyllabes masculins et des heptasyllabes féminins qu'il serait plus correct d'appeler, dans un tel contexte, respectivement des octosyllabes oxytoniques et des octosyllabes paroxytoniques. C'est lui qui est à la base de ce que Billy (1990) appelle «décompensation»[25] dans la fameuse «césure lyrique», et qui s'inscrit dans le cadre plus général de l'«arythmie» (cf. Billy 1989:52) qui consiste précisément à alterner en dehors de contraintes externes, et donc d'une manière non prédictible, les désinences oxytoniques et paroxytoniques.

Bien que fondamentalement divergents, ces deux types d'isosyllabisme ne sont pas incompatibles, et l'exemple du /4 + 6/ en est bien le plus frappant par son évidence même. Mais on peut observer d'autres mélanges dans des pièces qui recourent d'une strophe à l'autre à l'un ou l'autre système, au point de créer des ambiguïtés au niveau de l'analyse. Ainsi, la strophe V d'une paraphrase française du Stabat Mater (Plorez trestot por Jhesu Crist)[26] présente un groupe de vers 6'6'6 7 7 6 qui pourrait inciter à reconnaître l'utilisation du /6/ rythmique[27] au côté de l'heptasyllabe; mais ce groupe a un pendant qu'une mélodie devait accompagner, en 7 7 5'7 7 5', et qui contraint à une autre interprétation puisqu'on ne peut pas ne pas y reconnaître l'utilisation d'un /7/ arythmique[28] aux vers 1, 2, 4 et 5 et d'un /6/ arythmique aux vers 3 et 6.

Il est loin en effet d'être toujours aisé de savoir à quel type de système on a vraiment affaire. Ainsi, dans le schéma 8a7'b8a7'b8c8c8'd8'd, qu'est-ce qui peut nous permettre de parler d'un /8/ arythmique sinon l'isolement des quatre premiers vers, ou d'un /8/ rythmique sinon l'isolement des quatre derniers? Et pourquoi ne rattacherait-on pas 7' au /7/ rythmique et 8' à un /9/ arythmique? Ou encore: dans une pièce monomètre à heptasyllabes «masculins» ou «oxytoniques», il est impossible d'affirmer à priori que l'on a affaire à un /7/ rythmique plutôt qu'à un /8/ arythmique (mais cela a-t-il un sens?), ou encore d'imaginer un /7M/ comparable au /8M/ primitif. Seules des données externes peuvent nous aider à résoudre ce genre de problèmes.

Il peut arriver que le système arythmique soit utilisé pour permettre, à titre exceptionnel, l'admission de finales paroxytoniques à la césure de vers réglé par un mètre à contrainte gonique. Nous avons parlé d'un lai de Machaut recourant à de telles structures. On y trouve deux cas d'arythmie, l'un qui s'inscrit dans le cadre traditionnel du /4 + 6/ qui ne nous intéresse pas ici[29], l'autre dans un cadre plus original, puisqu'il s'agit du /6 + 6/ où le seul moyen régulièrement concevable pour traiter les féminines sans obtenir de post-tonique surnuméraire, soit la synalèphe avec 6']6, semble proscrit (Qu'il est aussi richès comme est li rois de France); ici, la préférence du mode (5) renvoie bien, jusqu'à preuve du contraire, à un /6M + 6F/ bien que cette notation avec M soit, à la lettre, évidemment contestable.

2.3. Système des vers césurés au moyen âge et implications générales

 

Nous avons procédé ailleurs à un examen systématique des mètres césurés dans la lyrique médiévale française et occitane. Nous synthétiserons ici les données en éliminant quelques formes marginales, et en extraierons les conclusions qui s'imposent, dont on trouvera sur certains points de plus amples développements dans notre étude de 1990. Un certain nombre de points ici avancés sont néanmoins nouveaux dans notre réflexion. Etant donné /x + y/ tout mètre césuré, figurons x en ligne et y en colonne:

 

 

Le type de césure est étroitement conditionné par la nature des éléments combinés, et les combinaisons elles-mêmes ne sont pas libres. On constate ainsi qu'il n'y a pas de combinaison en-deçà de 9 syllabes, ni au-delà de 16; mais 16 est déjà une limite extrême, la combinaison tendant nettement à se scinder par la rime.

 

2.3.1. Limites métriques

Au niveau des segments combinables, il convient de remarquer que:

1°) Il n'y a pas d'unités métriques «naturelles» inférieures à 4 syllabes.

2°) Il n'y en a pas qui soient supérieures à  8 syllabes.

On nous fera cependant observer que des unités de 3 se rencontrent dans l'ennéasyllabe, mais ce fait est précisément lié à un statut artificiel de la césure qui impose une terminaison masculine, ce qui nous pousse à voir en elles autre chose que des unités métriques au sens strict.

 

2.3.2. Stabilité

Nous avons fait valoir dans notre étude de 1990 (§ 3.1) l'importance du concept de stabilité. On s'y reportera pour le détail. Rappelons seulement que nous y avons défini trois niveaux de stabilité selon le comportement des segments dans les combinaisons:

«A. Le 4-syllabe est constitutionnellement instable, quelle que soit sa position, s'échangeant avec un segment composé d'un 3-syllabe suivi ou précédé selon le cas d'une atone post-tonique. L'instabilité de cet élément métrique ressort donc 1°) de son incapacité à produire, en combinaison avec lui-même, un mètre césuré; 2°) du phénomène de compensation qui le modifie, quelle que soit sa position, lorsqu'il entre en combinaison avec d'autres unités métriques.

«B. L'instabilité du 5- et du 6-syllabe est par contre conditionnée:

«a) Le 5-syllabe n'est stable qu'en position antérieure; il est néanmoins susceptible de se stabiliser en position postérieure, autant dans le /5 ¬ 5/ que dans le /7 ¬ 5/[30].

«b) Le 6-syllabe n'arrive à se stabiliser qu'en combinaison avec lui-même.

«C. Le 7- et le 8-syllabe manifestent une grande stabilité [d'où leur tendance au démembrement rapide par la rime] et n'apparaissent en position postérieure qu'en combinaison avec eux-mêmes».[31]

 

2.3.3. La césure du type (d)

On aura par ailleurs remarqué que les types de césure homotone que nous avons appelé «artificiels» en ce qu'ils limitent radicalement les possibilités linguistiques, et plus précisément ici le type (d), se rencontrent dans d'autres formations plus grandes que l'ennéasyllabe. Nos conclusions seraient-elles ainsi remises en cause? Il convient, à notre avis, de distinguer trois types nettement distincts, dans lesquels des facteurs différents interviennent pour motiver ce genre de césure:

1°) Dans les formations /3 + 6/ et /6 + 3/, nous supposons que l'artifice résulte de la brièveté du trisyllabe dont la longueur est inférieure aux impératifs métriques que nous avons définis.

2°) Dans les formations /4 + 5/, /5 + 4/, /5 + 6/ et /6 + 5/, nous supposons que la perceptibilité des segments constitutifs est compromise par leur combinaison en raison de leur proximité numérique: c'est à quelque chose de tel que le Principe de Discrimination de Cornulier que nous pensons. On remarquera cependant que le contre-exemple que constitue le /7 + 6/ indique que la plus ou moins grande stabilité intrinsèque des segments peut entrer en ligne de compte, une telle stabilité pour l'un des segments garantissant en quelque sorte la «reconnaissabilité» des segments. Mais que se passe-t-il quand ce sont deux unités également stables mais différentes qui sont combinées? On remarquera d'une part que le 7- et le 8-syllabes ne se combinent pas entre eux; d'autre part, qu'un certain anisosyllabisme alterne ces deux types d'unités. Nous ne voyons pas encore ce qui pourrait être conclu de ces deux observations.

3°) Le dernier type se rencontre dans le /8 + 4/ et le /8 + 6/; dans ces deux cas, le type de césure ne semble pas de nature combinatoire: il est plus probablement directement lié à la nature même de l'octosyllabe dont on sait qu'il est oxytonique à l'origine, et qu'il mettra du temps, employé isolément (indépendamment d'une combinaison) ou en distiques d'octosyllabes, à s'affranchir de cette propriété originelle. Sur les raisons qui induisent un comportement si particulier au sein du système des mètres néolatins, nous ne savons personnellement rien.

 

3. Pour une notation des mètres

On a depuis longtemps remarqué que les termes «résomptifs» traditionnellement utilisés pour désigner les mètres césurés: déca-, endéca-, dodécasyllabe… étaient inadéquats. Mais, pour être plus fine, une notation du type x-y (Cornulier) ou /x + y/ (Billy) se révèle également insuffisante puisqu'elle ne prend pas en compte le type de relation qui régit l'articulation des deux segments. Du moins peut-elle convenir à défaut d'informations précises ou d'une interprétation sûre, mais il est des cas où la nécessité se fait jour d'avoir une notation plus exacte, fournissant d'emblée les indications métriques pertinentes, et c'est à cette fin que nous allons proposer un système de notation en invitant les lecteurs à nous faire part de leurs critiques.

Définissons x et y comme le premier et le second segment métrique soumis à des règles numéro-syllabiques variables au demeurant d'une époque, d'un genre ou d'un auteur à l'autre.

Voyons à travers les limites latérales des symboles x et y, les positions syllabiques métriques extrêmes des segments qu'ils désignent, positions que nous appellerons «frontières» et représenteront par des parenthèses.

Convenons par ailleurs que les parenthèses délimitent un domaine où tous les noyaux syllabiques représentent une position numéraire du mètre.

Convenons de désigner la possibilité d'une post-tonique finale par un point supérieur, son obligation par un prime, son interdiction par un °: la position du point par rapport à la parenthèse de clôture renverra sans équivoque au type d'isosyllabisme en cause: (x)_ est régi par l'isosyllabisme rythmique, (x_) par l'isosyllabisme arythmique; la position du prime renverra indirectement [32] à ces types.

Convenons que la perte de la parenthèse initiale indique l'abandon de la protection d'un segment contre l'empiétement d'un segment antérieur: alors que (x)_ + (y)_ renverra au type (a), l'écriture (x)_ + y)_ réécrite ((x)_ + y)_ pour satisfaire aux règles d'écriture conven­tionnelle des parenthèses, renverra au type (c1).

On peut alors exprimer directement les caractéristiques typologiques à travers la notation[33]:

(a)      (x)_ + (y)_

(b)      ((x)_ + (y))_

(c1)    ((x)_ + y)_

(c2)    (x_) + (y)_

(d)      (x)° + (y)_

(e)      (x)' + (y)_

Constatons d'abord que le type (c2) combine les deux types d'isosyllabisme.

Notre point de départ étant le cadre de l'isosyllabisme rythmique, toutes les combinaisons possibles ne figurent pas ici. Il n'y a aucune raison de penser que certains types eussent pu être interdits par quelque règle imaginable, mais leur sort a certainement été très inégal si l'on en juge d'après les témoignages conservés, et les facteurs qui ont pu intervenir sont difficiles à déterminer. On trouve ainsi un type (7)_ + (6_) démembré par la rime dans une chanson anonyme (RS390)[34], ce qui pourrait, appliqué au /6 + 6/, donner sous sa forme la plus déconcertante quelque chose comme:

         aux nénuphars de l'ond(e) qu'elle donne un poucè

Il est d'autre part certain que toutes les valeurs de x et de y ne se prêtaient pas d'une manière égale à l'adoption de ces différents types (cf. § 2.3): ce n'est pas pour rien que (c2) ne concerne pratiquement que le décasyllabe /4 + 6/ alors que le /5+5/ connaissait les types (a) et (c1). Billy (1990, § 3.1) montre ainsi que le comportement des segments (leur «stabilité») est directement lié à leur longueur et à leur position.

Il est également nécessaire de rappeler que ces types ne se rencontraient pas nécessairement à l'état pur et qu'ils pouvaient interférer. Tel est le cas du /4 + 6/ dans certains corpus mêlant les types (a) et (c2), pourtant très opposés[35].

 

 

Dominique Billy



[1]Au sens étroit: nous ne parlons pas des structures strophiques qui relèvent davantage de la «rimique» que du métrique au sens strict.

 

[2]Il conviendrait de parler d'occurrence si on assimile le mètre, comme semble le faire Cornulier, à une relation d'équivalence.

 

[3]Cf. Verluyten (1982 et 1989); refus en particulier des propriétés CPE de Cornulier (1982:139-40) sur la position finale du premier segment.

 

[4]V. par ex. (1989:54-6). Ce seuil pourrait correspondre chez les Classiques à ce que Pédoya-Guimbretière (BSLP 79:1984:1:65) dénomme «rupture».

 

[5]Nous ne voulons pas dire que toutes ces frontières donneront lieu à segmentation, ni que ce sont là les seuls lieux de segmentation possibles: des plaisantins en feront au niveau de toute frontière syllabique, mais iront-ils au delà si on ne le leur souffle pas?

 

[6]Cf. Cornulier (1982:177-89).

 

[7]Cf. Milner (286-7 et 302) qui substitue toutefois le concept de voyelle (= noyau vocalique) à celui de syllabe, et propose deux «universels d'implication» (pardonnez du peu) valables pour les types (b) et (c) infra, § 1.2. A remarquer que le recours à la voyelle fait disparaître artificiellement le décalage entre frontière syllabique et frontière de mot dans le mode (2) du § 1.3.

 

[8]Sur l'inexactitude de cette notion désignant habituellement l'occurrence plutôt que le type, cf. Cornulier (1981:120); la notion est à ce point confuse (ou captieuse) que Verluyten (1989:63) peut dire à quelques lignes d'intervalle que «la césure est enjambée par le mot» et «la césure enjambe le mot»; sa conception de la césure étant la même que la nôtre, c'est évidemment la première expression qui convient, l'adjectif verbal ayant ici une valeur passive, comme dans couleur voyante ou rue passante (Cornulier dixit).

 

[9]Et dérivés; cf. Avalle (23, n. au v. 25).

 

[10]Conception notamment de Burger.

 

[11]Cf. Cornulier (1982:77-91).

 

[12]D'un point de vue descriptif, l'indication de la césure est redondante; cf. Billy (1989b:309n62).

 

[13]A l'initiale absolue, l'indication de Y peut être supprimée comme allant de soi; mais on pourrait étendre le raisonnement au A final.

 

[14]Ainsi, dans (1), la nature de la syllabe précédente indique que X est un début de mot (mais il peut aussi bien s'agir de la syllabe finale du même mot si celui-ci est monosyllabique). V. aussi infra, sous type (c1).

 

[15]Nous indiquons ici la notation proposée et utilisée dans Billy (1989a et 1990); les cas d'hiatus sont ici assimilés à des cas de non liaison/synalèphe avec le seul symbole [ (cf. mode (4) et (5)).

 

[16]Sur ces notions, cf. Jakobson (1960).

 

[17]Mais subissant néanmoins une contrainte secondaire en fonction de son environnement; ainsi, dans ce type, cette position ne peut être occupée que par la première syllabe d'un mot (ce peut être la dernière également!) ou une syllabe post-tonique.

 

[18]Nous sommes en fait très réservés sur cette conception.

 

[19]Et parfois du segment final, ce qui est plus difficile à déterminer du fait de l'isomorphie des genres de rimes imposée d'un couplet à l'autre dans le cadre de la poésie lyrique, du moins en général (cf. Billy 1990: § 2.2, P).

 

[20]A a en effet été défini comme requérant simplement une syllabe accentuée, qu'il s'agisse d'un oxyton ou d'un paroxyton. Une notation avec F = position contraignant la syllabe post-tonique d'un paroxyton, pour H serait possible, ce qui impliquerait une syllabe précédente accentuée. On pourrait également proposer une notation avec A F, incluant donc l'avant-dernière syllabe du premier segment. Pour nous, il est préférable de ne pas perdre de vue que la contrainte porte sur la désinence paroxytone en son entier; on y gagne de ne compter qu'une unique position métrique pour deux syllabes.

 

[21]Ed. Chichmaref, V. Guillaume de Machaut: pésies lyriques. Paris, 338-44.

 

[22]On pourrait en effet noter, dans le seul cas du /6F + 6F/, par exemple: /6 + 7/ ou /7 + 6/; ou /6 + 8/ ou /7 + 7/ en tenant compte de la post-tonique finale.

 

[23]Ces deux derniers mètres sont ainsi mêlés: 2 fois 3a3a2b3a3a2b.

 

[24]Dans la 3e strophe, un vers (sur 8) est coupé 4']6 (synalèphe), dans la suivante, deux vers (sur 16) sont coupés 3'[6 (arythmie), deux 4']6. Notre analyse de 1990 (n. 30) était par conséquent erronée.

 

[25]Nous ne sommes pas certain que le terme soit heureux, ni même qu'il soit réellement utile, ce que permettrait de décider une réflexion plus approfondie.

 

[26]Ed. Bonnard, J. Les Traductions de la Bible en vers français au moyen âge. paris, 1884, 158-61; description dans Billy (1989a:53-4).

 

[27]C'est-à-dire alternant 6 (masculin) et 6' (féminin).

 

[28]C'est-à-dire alternant 7 (masculin) et 6' (féminin) pour ne pas aller contre les usages, ou plus exactement 7 oxytonique et 7 paroxytonique.

 

[29]Rappelons qu'on y trouve des cas d'élision.

 

[30]On notera au passage l'absence d'une combinaison */8 ¬ 5/.

 

[31]Nous renonçons actuellement au symbole ¬ en faveur du signe +.

 

[32]Cf. § 2.1 à propos d'une pièce de Guillaume de Machaut. A notre connaissance, les segments métriques du type x' relèvent tous du système rythmique, soit (x)'.

 

[33]Nous ne prenons ici en compte que la césure, mais, on le verra, il peut se trouver que le second segment soit arythmique avec la forme (y_).

 

[34]Cf. Billy (1989a:54).

 

[35]On se reportera aux fiches idoines de Mölk et Wolfzettel (1972).