Sur le rôle de la répétition

dans les proverbes[1]

  0. Introduction

Cette étude s’inscrit en parallèle dans le cadre de la parémiologie et dans celui des recherches sur le rythme. En ce qui concerne la parémiologie, le renouveau d’intérêt pour les proverbes auprès des linguistes est la preuve de leur statut particulier au sein de la langue[2]. C’est dans cette optique que nous avons commencé une étude systématique des paramètres rythmiques caractérisant les proverbes (D’Andrea), en nous situant dans le cadre théorique et méthodologique de Benoît de Cornulier (1995, 1999 et 2005). En l’occurrence, nous nous référons aux phénomènes connus sous le nom de contre-rime, contre-répétition et contre-cadence, qui relèvent du principe plus général de contre-équivalence (Cornulier 2005). Nous avons appliqué la notion de contre-équivalence à un corpus de proverbes français et nous avons mis en évidence notamment des exemples de contre-répétition.

Nous avons choisi comme point de départ un recueil représentatif de l’époque médiévale, Les Proverbes français antérieurs au XVe siècle, édité par Joseph Morawski en 1925 et contenant 2500 proverbes, classés par ordre alphabétique et datés à partir du XIIIe jusqu’au tout début du XVe siècle. Prenant comme source vingt-neuf ouvrages, dont onze inédits, l’auteur élimine les locutions, les refrains, les axiomes de droit, les proverbes au caractère trop sentencieux, les proverbes non français et les proverbes postérieurs au XIVe siècle.

À l’intérieur de ce recueil, nous avons sélectionné les 375 formes commençant par un groupe nominal à noyau relatif (qui) sans antécédent[3].

La classe qui est, encore aujourd’hui, la plus nombreuse parmi les classes syntaxiques des proverbes français ; le pronom qui, également attesté au Moyen Âge avec la graphie ki, a un emploi autarcique. L’indétermination de ce type de relatif (en l’absence d’antécédent, et en l’absence de valeur questionnelle), permet d’interpréter ces proverbes comme des phrases génériques : Qui GV = toute personne qui GV. En outre, la concision de Qui GV1 GV2 fournit un cadre propice au parallélisme entre ses deux groupes verbaux successifs. D’après Buridant aussi (2000 : 592), l’emploi autarcique du pronom relatif qui est devenu un des traits caractéristiques de la forme gnomique.

Cette classe de proverbes a été étudiée par Mirella Conenna (1988) dans le cadre du lexique-grammaire, et en termes de logique par Martin Riegel (1986). Riegel a démontré que l’hypothèse du principe général de l’implication est vérifiée pour le paradigme des proverbes français introduits par le relatif indéfini qui. L’étroite analogie entre la forme lexico-syntaxique des proverbes de cette classe :

 

Qui SV0 SV1

et le schéma de base de l’implication formelle :

 

Vx, Fx > Gx

(à savoir : pour tout objet x, si x a la propriété F, alors x a la propriété G), fait correspondre à la variable x quantifiée universellement, le pronom relatif, et aux deux éléments de l’implication, les deux groupes verbaux des proverbes en question.

Mais revenons au rythme : d’après Greimas (1970), l’un des premiers à étudier les traits formels des proverbes, proverbes et dictons peuvent être caractérisés par une structure rythmiquement binaire ; cette binarité, qui est parfois même soulignée par la rime et l’assonance, peut se manifester entre deux propositions (avec ou sans verbes) ou entre deux groupes de mots à l’intérieur de la proposition. Au niveau lexical, les proverbes et les dictons peuvent être marqués par la répétition des mêmes mots ou par des couples oppositionnels de mots mettant en évidence les relations de causalité, de détermination, de dépendance.

Dans la présente étude, nous essayerons de montrer d’une part, quel est le rôle de la répétition par rapport à la binarité rythmique des proverbes et, d’autre part, quels sont les différents degrés qui caractérisent la répétition dans les proverbes. Nous précisons qu’il s’agit d’une analyse préliminaire concernant un corpus de proverbes anciens, tirée du cadre plus général de notre thèse.

 

1. Qu’est-ce que la contre-équivalence ?

    Pour résumer d’une façon schématique l’étude de Cornulier (2005), nous rappelons que, après avoir affirmé qu’il existe en France des métriques de tradition littéraire (TL) différenciées des métriques de tradition orale (TO), celui-ci analyse quelques exemples de textes appartenant à la TL dont la métrique a été influencée par des modèles typiques de la métrique de TO. Un de ses exemples est la strophe conclusive d’un texte écrit par Victor Hugo, selon son manuscrit, sur commande de son amie Juliette Drouet en 1857 :

Si vous voulez des flammes,

Si vous voulez des fleurs,

Si vous voulez des fleurs,

Cherchez-en dans les âmes;

Si vous voulez des fleurs,

Cherchez-en dans les cœurs.

    D’après Cornulier, ce schéma rimique (ab ba-bb), bizarre pour un texte de TL, laisserait plutôt penser à une métrique de TO, dans laquelle non seulement il est important de souligner les équivalences, comme la rime ou la répétition initiale, mais il est pertinent aussi de souligner un contraste ou une différence conclusive sur fond d’équivalence. Cornulier substitue donc à l’idée d’équivalence initiale la notion de contre-équivalence.

  Quant à la terminologie :

 “ - la partie [DVM →] (d’une expression), incluant sa dernière voyelle masculine (DVM) avec ce qui suit, est le domaine de la rime ;

- la partie [← DVM], incluant sa dernière voyelle masculine avec ce qui précède, est le domaine du mètre.

      Si, pour des raisons de commodité terminologique, on appelle tonique (T) d’une expression supposée rythmiquement pertinente la DVM de cette expression, anatonique d’une expression sa partie [← DVM] et catatonique d’une expression sa partie [DVM →], on peut dire que normalement […] la partie anatonique d’un vers est le domaine de son mètre, et sa partie catatonique, le domaine de sa rime. ” (Cornulier 2005)

      Or si le contraste concerne la forme catatonique, la contre-équivalence prend le nom de contre-rime :

Si vous voulez des flammes

Si vous voulez des fleurs

    Dorénavant nous allons distinguer en italiques ce que nous attribuons au fond d’équivalence – comme ici, Si vous voulez des fl… – et en caractères gras ce qui représente le contraste – ci-dessus, …ammes et …eurs. Nous allons, en outre, souligner ce qui est la représentation graphique des sons, comme ici encore flammes et fleurs (graphies évoquant des sons) ; mais, lorsqu’il s’agit d’un contraste de mots impliquant un contraste total des sons correspondants, nous nous contentons des caractères gras. Enfin, lorsqu’un proverbe figure entièrement en italiques, c’est parce qu’il est cité comme exemple à l’intérieur du discours.

  Si le contraste concerne un ou plusieurs mots (initiaux, internes ou terminaux), la contre-équivalence prend le nom de contre-répétition :

Si vous voulez des flammes

Si vous voulez des fleurs

    Si le contraste concerne la longueur catatonique, la contre-équivalence prend le nom de contre-cadence :

 

Longueur catatonique de flammes = 2

Longueur catatonique de fleurs = 1

 

car il y a deux voyelles dans ammes (supposé prononcé avec 2 voyelles dans l’esprit de la langue des vers) et une voyelle dans eurs.

 

2.0 La contre-équivalence et les proverbes

Qu’en est-il dans les proverbes[4] ? Il est bien connu qu’un grand nombre de proverbes présentent une rime et/ou des parallélismes formels qui en réflètent la binarité sémantique. Ces parallélismes coïncident souvent avec les deux membres d’un proverbe, c’est-à-dire avec la condition et la conséquence.

Par exemple, le proverbe:

Qui plus a plus convoite

pourrait être paraphrasé en :

Si quelqu’un a plus (condition)

alors il convoite plus (conséquence)

 

    Dans ce cas, la répétition du mot plus n’est pas une fin en soi, ni dénuée de sens. D’un point de vue rhétorique et rythmique, il s’agit surtout d’un fond d’équivalence qui, d’un côté, apparente les deux volets du proverbe, mais, de l’autre, met en contraste les mots qui le suivent (a vs convoite). Nous allons maintenant développer cette idée, en dressant une liste des fonctions principales que la répétition peut avoir dans les proverbes. Pour chaque type de répétition, nous ne donnons qu’un échantillon des exemples, notre recherche étant en cours.

  2.1 La répétition à la même place que la rime

    La répétition peut occuper dans les proverbes la place finale ; or, il se trouve que, lorsqu’une rime intéresse un proverbe, elle occupe normalement la même place. Comme dans la poésie, par exemple, la rime concerne les parties finales des vers, dans les proverbes, elle concerne les parties finales des deux volets. Dans :

Qui aime bien châtie bien

qui ne fait pas partie de notre corpus mais qui est un proverbe très connu, il ne s’agit pas de rime à strictement parler, car l’équivalence de forme catatonique n’est qu’une conséquence automatique de la répétition d’un même mot, à savoir bien, en finale de groupe. Voilà d’autres exemples, cette fois-ci tirés du corpus Morawski :  

Ki ne fet ainz oure ne prent a oure

( = Qui ne fait pas avant l’heure ne prend pas à l’heure)

 

Qui tost done deus foiz done

( = Qui donne tôt donne deux fois).

(Nous donnons entre parenthèses une simple paraphrase pour faciliter la compréhension).

 

2.2 La répétition comme fond d’équivalence

La répétition dans les proverbes peut aussi constituer le fond d’équivalence d’une contre-répétition finale. Nous allons essayer de reproduire graphiquement les différences entre ce qui est neutre (hors des crochets), ce qui représente le fond d’équivalence (en italiques) et ce qui constitue le contraste lexical (en gras). Dans :

 

Qui a honte de mangier si a honte de vivre

 

par exemple, on peut imaginer de proposer un schéma tel que :

 

                                                Qui         [ a honte      [ de mangierInf ]                    ] GV

                                                si            [ a honte      [ de vivreInf ]                          ] GV

 

    Dans le cas ci-dessus, le contraste apparent entre les deux mots mangier-vivre n’est pas total, car le fond général d’équivalence inclut jusqu’au fait que ce sont des infinitifs compléments de la préposition de, et le contraste se réduit au fait que les formes ainsi mises à l’infinitif sont celles des radicaux des deux verbes différents, mangier et vivre. Dans ce cas, donc, le contraste est lexical (ce qui implique un contraste phonétique), mais il n’est pas syntaxique.

Dans le paragraphe suivant, nous indiquons qu’il est parfois pertinent de séparer la notation des aspects phonétiques des signes et celle de leurs aspects graphiques.

 

2.3 La répétition et la rime représentent le fond d’équivalence

    Lorsqu’un proverbe contient une répétition initiale qui se combine avec une rime, le fond d’équivalence qui en résulte est beaucoup plus vaste. Analysons le proverbe ci-dessous d’un point de vue d’abord exclusivement lexical :

 

Ki a bon veisin a bon matin.

 

Il paraît que le fond d’équivalence implique les deux mots a bon, et que la contre-équivalence concerne la paire veisin-matin. Comme nous l’avons fait pour l’exemple précédent, nous allons représenter cette analyse par le schéma suivant :

 

                                                Ki        [ a                 [ bon veisin ] GN                          ] GV

 

                                                            [ a                [ bon matin ] GN                                 ] GV

 

    Mais si les éléments qui composent la paire veisin-matin sont en contraste lexical, du point de vue de leur réalisation phonétique, ils sont apparentés par les sons finaux, qui créent la rime. Le contraste au niveau lexical, à son tour, est donc composé, sur le plan phonétique, d’un fond d’équivalence et d’un contraste. Il faut chercher alors une façon de représenter la contre-équivalence initiale des formes phonétiques des deux mots : nous allons ajouter au schéma ci-dessus les formes correspondant à de tels sons, formes que, par convention, nous avons soulignées, étant donné la difficulté d’établir une transcription phonétique vraisemblable pour des proverbes très anciens.

 

                     Ki                   [ a                                 [ bon  veisin/veis – in ] GN       ] GV

                                           [ a                         [ bon  matin/mat in ] GN    ] GV

 

    Ce schéma explicite qu’un mot (représenté ici par sa graphie “ veisin ”) est remplacé par un autre mot (représenté ici par sa graphie “ matin ”), et complémentairement que, dans les signifiants phoniques correspondants, le son noté “ veis ” est remplacé par le son noté “ mat ”.

Rappelons en effet qu’il ne faut pas confondre le mot, qui est un signe combinant un signifiant (forme graphique ou acoustique de ce mot) et un signifié (disons son sens), avec un signifiant de ce mot. Or, dans notre métalangage linguistique, nous sommes constamment amenés à désigner de la même manière, par le même signifiant autonymique, tantôt un mot, tantôt un signifiant de ce mot (ici au moyen du soulignement) : “matin” peut désigner le substantif muni de son sens, ou uniquement une série de lettres ou de sons qui se trouve être signifiant de ce signe; ici, nous tenons à distinguer explicitement la désignation du signe matin (sens et forme) et la désignation de sa forme, en l’occurrence acoustique. C’est du reste cette ambiguïté courante, mais que nous prenons soin de lever ici, qui empêche généralement d’apercevoir la distinction qui nous paraît pertinente dans l’analyse de la contre-équivalence.

 

Autres exemples :

 

                             1) Qui par art jure par art se parjure

                          ( = Qui use d’un subterfuge pour jurer en use pour se parjurer)

 

                   Qui           [ par art                                                   [ jure/jure ] V  ] GV

                                   [ par art                            [ se parjure/se par jure ] V ] GV

 

 

                                 2) Qui trop s’umilie trop se conchie

                                ( = Qui trop s’humilie trop se souille)

 

                   Qui                [ trop                        [ s’umilie/s’umil – ie ] V        ] GV

                                       [ trop               [ se conchie/s - e conch ie ] V       ] GV

                          

                        3) Qui mal fera mal trouvera

 

                   Qui                [ mal                          [ fera/f – era ] V                 ] GV

                                        [ mal            [ trouvera/trouv era ] V                 ] GV

 

Dans ce dernier cas, il faut souligner que le radical change et la flexion (3e personne du singulier, du futur de l’indicatif) ne change pas, alors que souvent dans les proverbes il y a des cas qui vont dans la direction opposée, comme par exemple :

 

Qui fiert ferir se veut (ferir)

( = Qui frappe veut être frappé)

 

Qui tient si tiegne (tenir)

( = Qui tient, qu’il tienne).

 

Cependant, dans de tels cas, les diverses flexions du même verbe ne se trouvent pas en contre-répétition, sauf dans :

 

Qui maintes fist maintes fera

( = Qui fit en grand nombre fera en grand nombre)

 

où la répétition de maintes et l’allitération du son intial [f] des deux formes verbales mettent en contraste les deux désinences (-ist > -era) ; l’allitération est due au fait que les deux formes dérivent du même radical.

 

2.4 La contre-équivalence composée

Dans des cas tels que :

 

Qui ains saut qu’il ne doit ains chiet qu’il ne vorroit

( = Qui saute avant qu’il ne le doive tombe avant qu’il ne le veuille)

 

Qui plus haut monte qu’il ne doit de plus haut chiet qu’il ne voldroit

( = Qui monte plus haut qu’il ne le doit tombe de plus haut qu’il ne le voudrait)

 

Qui a eure veut mangier ainz eure doit apparillier

( = Qui veut manger à l’heure doit préparer avant l’heure)

 

la contre-équivalence est composée par des éléments qui ne sont pas consécutifs mais qui se distribuent tout au long du proverbe. Essayons d’analyser l’un de ces proverbes en cherchant à rendre compte à la fois des équivalences et des contrastes des lexèmes et des graphèmes correspondant aux sons.

 

Qui       [ a Prep               eure          [ veutModal    mangier/mangi - er Inf              ]V        ]GV

              [ ainzPrep           eure          [ doitModal     apparillier/apparilli - er Inf   ] V      ]GV

  Les contre-équivalences au niveau lexical sont ici représentées par les prépositions (a > ainz), par les verbes modaux à la 3e personne du singulier (veut > doit) et par les verbes à l’infinitif (mangier > apparillier). Cette dernière contre-équivalence, à son tour, se compose du contraste entre les radicaux mangi ≠ apparilli, sur le fond représenté par les désinences d’infinitif –er. Dans les cas de ce type, donc, l’équivalence acoustique et/ou graphique n’est qu’une conséquence de l’équivalence signe-désinence.

 

2.5 La contre-équivalence est réduite à un phonème

Un cas intéressant est celui où non seulement le fond d’équivalence est constitué par une répétition initiale et par la rime (comme nous l’avons montré pour Qui a bon voisin a bon matin), mais où les mots rimant sont ceux que Molinié (1992 : 211) définit comme métagrammes, c’est-à-dire des mots entre lesquels “ la différence réside en l’opposition d’un seul son ou d’une seule lettre, au même endroit distributionnel ”. Par exemple, dans Qui a terre a guerre, les deux mots terre et guerre ne divergent que par un phonème placé au début du mot, et, comme il y a aussi une répétition initiale (le verbe a), il se trouve que les deux membres du proverbe (sans considérer le pronom qui, élément neutre) sont comme les éléments d’une paire minimale. Le contraste consonantique entre les phonèmes initiaux de deux mots à été défini par Cornulier (2005) comme contre-allitération.

Essayons, maintenant, de représenter ces caractéristiques, à l’aide des outils graphiques exploités dans les exemples précédents.

 

                   Qui                    [ a                        [ terre/t - erre       ] N     ] GV

                                           [ a                          [ guerre/gu - erre ] N     ] GV

 

( = Qui tient une terre (en seigneurie) obtient la guerre).

Autre exemple :                Qui ainz nest ainz pest

 

                   Qui                [ ainz                           [ nest/n - est ] V            ] GV

                                        [ ainz                           [ pest/p - est ] V            ] GV

( = Qui naît le premier paît le premier).

 

2.6 L’équivalence totale

Dans le continuum caractérisant la distribution d’une répétition dans les proverbes que nous venons d’analyser, le cas-limite est celui où la répétition formelle est complète :

 

Qui ne peult ne peult

( = Qui ne peut ne peut)

 

Dans ce cas, la répétition lexicale et phonétique qui en dérive n’a plus la fonction de mettre en relief un contraste formel quelconque, comme c’était le cas dans les proverbes analysés ci-dessus.

 

                                           Qui    [ ne peult ] GV

                                                     [ ne peult ] GV

Mais peut-on faire l’hypothèse que c’est au niveau de l’interprétation sémantique que le contraste doit se réaliser, tout en étant en présence de deux signifiants identiques ? Et pour que le proverbe ne paraisse pas vide, peut-on imaginer un contraste au niveau, au moins, de l’interprétation pragmatique ?

 

3. Conclusions et perspectives

Nous avons essayé de mettre en évidence que la répétition formelle de certains éléments linguistiques (lexicaux, morphologiques, etc.) est un aspect ultérieur de la binarité d’un proverbe ; nous avons essayé aussi de décrire et d’analyser le rôle des différentes formes de la répétition dans les proverbes. Après avoir étudié un corpus de proverbes français caractérisés par la même structure syntaxique – c’est-à-dire les proverbes introduits par un pronom relatif sans antécédent, du type Qui aime bien châtie bien (cf. § 0.) – nous avons constaté qu’il existe un continuum de la répétition formelle dans les proverbes, qui va de la simple répétition lexicale (cf. § 2.1) – impliquant toujours une répétition phonétique – à une équivalence formelle totale (cf.§ 2.6), en passant par quelques degrés intermédiaires (cf. § 2.2-2.5).

Cependant, il demeure encore des questions à approfondir : par exemple, à propos des fonctions que la répétition et la contre-équivalence peuvent avoir dans les proverbes, peut-on parler d’une augmentation de la force expressive de ces énoncés en plus de leur fonction mnémonique ? De plus, dans l’état actuel de nos recherches, nous ne pouvons pas expliquer pourquoi les proverbes ne sont pas tous caractérisés par au moins l’un des paramètres que nous avons pris en considération. Enfin, notre analyse des répétitions et des contrastes, qui tient compte de plusieurs niveaux dont le lexique, la morphologie et la phonétique, doit s’arrêter face à ce qui constitue le problème majeur de la parémiologie, à savoir l’étude du sens d’un proverbe. En effet, dans le continuum formel que nous avons constaté en matière de répétition dans les proverbes, nous avons relevé un cas-limite, illustré au paragraphe 2.6

: lorsque le fond d’équivalence est total et qu’il n’y a plus de place pour la mise en contraste des éléments formels, c’est le sens qu’il faut étudier. À ce propos, la promotion d’un certain type d’études de parémiologie qui soient le plus interdisciplinaires possible nous semble souhaitable, et que ces études soient menées par des équipes composées de sémanticiens et de parémiologues.

 

Giulia D’Andrea

 (Université de Bari)

  

Références

 

 

Anscombre, Jean-Claude, éd. (2000) : “ La parole proverbiale ”, Langages 139, Paris : Larousse.

Buridant, Claude (2000) : Grammaire nouvelle de l’ancien français, Paris : Sedes.

Conenna, Mirella (1988) : “ Sur un lexique-grammaire comparé de proverbes ”, dans Les expressions figées, Langages 90, Laurence Danlos éd., Paris : Larousse, pp. 99-116.

Conenna, Mirella (2000) : “ Structure syntaxique des proverbes français et italiens ”, dans La parole proverbiale, Langages 139, Jean-Claude Anscombre éd., Paris : Larousse, pp. 27-38.

Cornulier, Benoît de (1995) : Art poëtique, Lyon : Presses universitaires de Lyon.

Cornulier, Benoît de (1999) : Petit dictionnaire de métrique, polycopié, C.E.M., Université de Nantes.

Cornulier, Benoît de (2005) : “ Rime et contre-rime en tradition orale et littéraire ”, dans Poétique de la rime, Michel Murat et Jacqueline Dangel éds., Paris : Champion, pp. 125-178.

D’Andrea, Giulia : Le rythme dans les proverbes français, thèse de doctorat en cours, Université de Bari.

Greimas, Algirdas Julien (1970) : “ Les proverbes et les dictons ”, dans Du sens, Paris : Seuil, pp. 309-314.

Molinié, Georges (1992) : Dictionnaire de rhétorique, Paris : Librairie Générale Française.

Morawski, Joseph (1925) : Proverbes français antérieurs au XVe siècle, Paris : Champion.

Riegel, Martin (1986) : “ Qui dort dîne ou le pivot implicatif dans les énoncés parémiques ”, dans Travaux de linguistique et de littérature, XXIV, 1, Strasbourg, pp. 85-99.

   



[1] Nous tenons à remercier Mirella Conenna et Benoît de Cornulier pour leur aide et leur soutien.

[2] La parémiologie linguistique (Conenna 2000) est ce domaine récent de la linguistique consacré au proverbe, traditionnellement plutôt pris en considération par l’anthropologie, l’ethnographie, la littérature ou bien la dialectologie. Des linguistes ont entrepris des analyses centrées sur le proverbe, et notamment sur ses aspects sémantiques, pragmatiques, logiques, métaphoriques ; nous ne citerons que les noms de G. Kleiber, J.-C. Anscombre, I. Tamba, cf. le n° 139 de la revue Langages (Anscombre 2000), mais le groupe fait de plus en plus de prosélytes, sur différentes langues.

[3] Nous avons écarté les formes en anglo-normand, étant donné les particularités linguistiques qu’elles présentent.

[4] Nous précisons que, dans la présente étude, nous n’abordons pas la question concernant ce que c’est qu’un proverbe. Pour avoir une vue d’ensemble sur les études récentes de parémiologie, cf. la bibliographie postposée au n° 139 de la revue Langages (Anscombre 2000).